Un très vieux texte, écrit pendant une année d'horreurs

ELLE et MOI


Elle est entrée dans ma vie soudainement et pourtant c'est comme si elle avait toujours été là. Au départ je n'avais pas remarqué sa présence alors que je la voyais chaque jour, assise sur mon bureau, appuyée contre les livres revassant en me regardant écrire des vers, des récits, des contes. Elle avait des yeux couleur ambre et des ailes sombres qui papillonaient doucement, elle était belle et fantastique autant par sa taille que par se qu'elle dégageait, une aura semblable à la mienne.

Elle ne parlait pas, du moins pas jusqu'à aujourd'hui, elle avait ce regard triste empli de nostalgie omniprésent chez les reveurs. Ce soir là, il pleuvait dehors, le vent soufflait et gifflait les branches à demi nues parsemées de parures couleur aurore, seule une petite lampe me donnait de la lumière et me protégeait des fantomes de la nuit, ces ombres qui se profilaient sur les murs errantes et sournoises. Une ambiance sereine et intime nous envellopait aussi protégées que nous étions par cette lueur et par la compagnie que l'on s'offrait l'une à l'autre. Nous étions d'éternelles amies, entre nous les mots perdaient de leur utilité, se sentir l'une près de l'autre nous suffisait. Ces paroles trop utilisées par les personnes n'étaient pour nous qu'un simple souffle qui ne voulait rien dire. C'est ce soir d'automne semblable à tant d'autres qu' elle laissa échapper une phrase, comme par accident.
< - J'ai envie de te confier mes secrets, te parler de moi. Laisse moi te raconter mon existence.>

Je l'ai regardée d'un air interrogateur. J'aurai du etre surprise mais se n'était pas le cas, comme si je m'attendais à cela. J'ai instinctivement posé mes coudes sur le bureau et ma tete sur mes mains puis sans la questionner sur ses motivations, avec un sourire aux lèvres, je lui chuchotai d'une voix douce et sans aucune violence :
<- Je t'écoute, fais moi partager tout cela.>
Elle se mit à genoux, croisa les bras et s'appuya contre la lampe sans doute pour avoir moins froid. Ainsi installée, son regard si doux et fragile se planta dans le mien, devenant sévère et pénétrant. Les mots s'écoulaient de sa bouche ni trop vite, ni trop lentement, souvent elle s'arretait pour les chercher, elle avait cette obcession de s'exprimer le plus exactement possible.

<- Mon monde est une utopie, un monde ou vivent des créatures ailées comme moi. Ce sont des créatures innocentes et inscouciantes, bercées par les reves et les douces idées. Leur bohneur est inébranlable, le mien s'est brisé comme une branche sèche ; j'ai échappé à la règle.
Je me souviens encore de ma naissance, en particulier des émotions ressenties. Ca commença par de la claustrophobie. J'étais comme un poussin, je poussais sur ma coquille, étouffant et à l'étroit. C'était pénible, long, épuisant. J'avais l'impression de mourir avant meme d'avoir vu la lumière. Puis par colère ou dépit, j'ai brisé ma prison, la barrière qui obstruait mes reves et ma pensée. J'ai été éblouie par la première chose que j'ai vue ; un crépuscule. Le soleil rougeoyant me dardait de rayons. Je me sentais agressée et émerveillée à la fois. Mes premiers sentiments étaient trop confus, ils se bousculaient dans un vacarme silencieux qui résonnait dans mon ame. J'ai senti tout cela descendre jusqu'à ma gorge, mes yeux s'innonder, et j'ai pleuré sans parvenir à m'arreter. Les adultes se sont précipités. sans comprendre. Dès la naissance on me remarquai, j'étais déjà différente car près de moi les autres nouveaux nés arborhaient le plus beau des sourires.
J'ai vécu mes dix premières années heureuse, j' adorais courir avec les autres, m'amuser à battre des ailes, je cueillais des pétales d'orchidées, de roses, de jonquilles de coquelicots, pour faire les plus jolies des robes. Chaque matin, je buvais la rosée et le nectar des fleurs, je saluais les insectes, partageais un éclat de rire avec les rongeurs. Les oiseaux m'ont appris à chanter les plus belles des mélodies, les étoiles m'ont dévoilé leur langage, tout m'interessait, chaque frémissement de vie attirait mon attention, une attention innocente qui ignorait la peur ou la douleur. Tout cela devait durer, telles étaient les règles de ce monde, on ne pouvait qu' etre heureux, mais toute règle a son exception. Le hasard a voulu que se soit moi, j'ai été choisie pour vivre une descente au plus profond de l'abime de l'enfer.
Je n'ai pas compris de suite mais je pressentais que quelque chose n'allait pas. Je sentais des regards inquiets posés sur moi. Qu'est-ce qui n'allait pas chez moi? me disais-je. Je me contemplais dans les flaques d'eau après chaque averse. Physiquement je ressemblais a n'importe quel etre, je ne me sentais pas malade. Que se passait-il? Je me suis mise à observer mes camarades, j'ai meme commencé à les imiter pour comprendre. C'est d'ailleurs de cette manière que la vérité se profila devant mes yeux, comme une ombre. J'ai suivi l'un d'entre nous pendant des semaines, singeant ses gestes. Je pouvais faire exactement les memes choses, à une action près ; un soir il tomba dans un ravin creusé par le ruisseau. J'étais affolée j'ai eu peur qu'il ne lui arrive malheur. J'ai appelé mais les adultes mais ils restaient inactifs, ils le regardaient tomber. J'ai écarquillé les yeux quand j'ai vu le miracle se produire ; il ouvrit ses ailes et s'envola. Je suis restée bouche bée, j'ai trouvé cela magnifique. J' ai pensé pouvoir le faire aussi, je l'ai suivi. Mais tout c'est écroulé. Je n'ai pas pu voler. J'ai frolé la mort. Le ruisseau m'a avalée, mais j'ai eu beaucoup de chance. Ce meme compagnon que je suivais sans cesse me sauva du monstre liquide.
Cet épisode de ma vie marqua la fin d'une torture et le début d'une autre, plus terrible. Pour une raison inconnue j'étais collée au sol, peu importe mes efforts. J'ai espéré longtemps en me voilant la face, pensant que ce n'était qu'un simple accident. Mais je dus m'y résoudre, je ne volerai pas, jamais je ne sentirai les brises aeriennes, les courants ascendants, j'aurai tant voulu voir le monde de haut mais c'était impossible. J'étais destinée à etre une exilée. Je n'eus que la solitude pour compagne ; chère solitude étais mon seul amour . Quelle joyeuse séparation quand cupidon m'efleurai de ses ailes, c'était un bohneur indescriptible quand on posait les yeux sur moi, mais que de douleur quand tu revenais fidèle solide... A chaque seconde je respirai ton souffle glacé, tu m'accompagnais, tu m'étreignais, tu m' etouffais...
Je cherchais desespérement comment combler ce vide que faisait la gravité dans mon coeur. J'ai médité, j'ai tenté de compenser par la connaissance. J'ai longuement réfléchi, tenté de comprendre ce monde, je l'ai étudié, rédigé des thèses que j'ai gravées dans mon esprit. J'avais un but, celui d'aider, de conseiller ceux de ma race, etre un guide tout simplement. Ce long apprentissage m'apportait beaucoup de joie, mais j'ai fini par abandonner. A quoi servait un guide dans ce havre de paix et d'inscouciance? A quoi servait la connaissance sur une terre ou il suffisait de cueillir le plaisir sans restriction? Mes congénères répondaient bien à ces questions par leur comportement face à mes enseignements, <à quoi bon s'épuiser à apprendre alors que le plaisir est à portée de main?> disaient certains <Nul besoin de savoir pour etre heureux.> disaient d'autres. Peut- etre avaient-ils raison, il n'y avait que moi pour avoir besoin de connaissances, tout simplement parce que c'est tout se que j'avais.
Après ces échecs, j'au sombré toujours plus bas, plus profond qu' avant encore à cause de cette compréhension trop pointue des choses que j'avais acquise. L'hiver arriva, plus glacial que d'habitude. Grimper dans les arbres pour trouver un abri m'épuisait. Je dormais seule dans ce froid qui me faisait trembler meme dans mon sommeil. Chaque soir avant le blizzard, je regardais la lune, je lui demandai un peu de chaleur, mais pas de réponse. Je suis peu à peu devenue comme un animal blessé, je m'approchai dangereusement de la frontière immatérielle qui sépare la raison de la folie. Tandis que les amoureux pleuraient de joie, moi je riais de douleur d'un rire nerveux, interompu par des claquements de dents. Quoi que j'ai pu en dire, ce rire ressemblait à une plainte insupportable. Je suis devenue mauvaise, mais mauvaise avec moi-meme. Je me detestais, j'haissais ces ailes, ce corps, cette ame qui ne plaisait à personne. Cela commença par des insultes faites à moi-meme, puis des crises de colère pendant lequelles j'hurlais contre moi ,le monde, les etres. Puis je m'arrachai douloureusement des plumes de mes ailes. Quand j'avais assez souffert et que je n'en pouvais plus, je m'écroulais la tete entre les genoux et je pleurais, longtemps en appelant comme une petite fille, des noms d'amis d'enfance, d'amants éphémères, des spectres de souvenirs heureux. Tous me croyaient folle, au fond se n'était pas vrai. J'étais juste une plante privée de lumière.
Le dernier de mes souvenirs fut à la fois une mort et une naissance, il faisait nuit, j'étais sur mon arbre. J'ai marché comme un fantome errant, j'ai marché comme une somnambule. J'ai regardé le ciel qui m'a toujours appelée, aussi triste que moi que je ne puisse le rejoindre. J'ai dit adieu aux étoiles, j'ai souri à la lune tristement et béni sa lumière mystique. Puis regardant en contrebas, j'ai choisi de retourner à la terre. J'ai décidé de mourir. Sans une hésitation un soir d'hiver sans que personne ne s'en apercoive, j'ai sauté.
et ensuite?> demandai-je.
Elle me fixa, et d'un regard me fit me tourner vers moi-meme. J'ai frissoné quand la vérité me transperça.

Je sursautai, le chat était venu se frotter à moi et m'avait tirée du sommeil. Ce n'était qu'un reve. Encore endormie mais l'esprit éveillé, je réalisai. J'avais parlé à mon ame, ma psyché, mon passé. Cet etre n'était autre que moi et mes souffrances passées. Mais cet etre n'existait plus en moi, du moins uniquement dans mes souvenirs, car j'avais changé, maintenant je vivais. J'avais eu une vision. Face à moi se déroulait un avenir sans limites. A chaque nuit succédait le jour et cela dans un cycle infini.
Tout cela n'avait qu'une dénomination : l' Homme l'avait appelée la vie.





15/08/2008
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