Rhapsodies (provisoire)
Rhapsodies (titre provisoire)
J'ai rêvé de mégalithes
De
richesses hétéroclites
A mettre dans mon chez
moi..
A
mettre dans mon chez moi...
Des choses qui servent à
rien
Après
avoir eu rien...
…chantait une jazz-woman, sur un vieux
tourne disque qui rendait l'âme. Sous la pluie IL gisait, comme Icare, les
ailes brisées dans une mare de sang, qui
ne faisait que s'étendre, tel un virus malsain, dévorant les pavés. Son oeil
torve clignotait comme sa vie fuyante.
Un auteur a dit
que le corps est une chrysalide qui n'éclot qu'à la mort. L'esprit
s'envole, devient volatile insouciant du corps, oisif. Il touche les souvenirs,
se pose ou il le souhaite. Le Papillon entend toutes les âmes, charrie tous les cœurs à sa guise. Il remonte le
temps, traverse l'existence passée, fait défiler le film anachronique de la
vie.
C'est l'instant avant la mort pendant lequel on connait
toutes les réponses. Tant il est gavé de Vérité l'être ne voit plus, ne sait
plus rien. Elle prend tant de place qu'elle brûle les mots sur le livre des
mémoires. Mais avant l'autodafé il faut parcourir les registres ; pour comprendre. Ainsi va le
papillon frénétique feuilleter le grand livre faisant tinter le glas.
_____
I- CRYSTAL
Je suis en retard, je suis en retard, comme un lapin
blanc sans reine de coeur. Sa sonne encore, ça sonne toujours.
J'suis
à la bourre.
Zigzaguant entre les
passants, je file en coup de vent. La brise est légère comme un parfum d’printemps.
Sous la mer de ciel, entre les bâtiments
miroirs de la technopole, je traîne mon sac et mon stress. Les hommes
d'affaires nerveux, s'écartent sur mon
passage, pestant. Je sépare la marée monochrome gris fumée des costumes. Les
plantes grimpantes sur les bâtiments, sont mes seuls spectateurs attentifs,
tendant leurs bras feuillus au dessus de ma tête, offrant une ombre étouffante
et maternelle. Au dessus du drame des végétaux tordus par la croissance, qui
serpentent le long des immeubles, flottent des cumulus obèses, joufflus, imposants
comme des cétacés crachant des nuages de pluie.
Puis dans le lointain émerge l'ombre du bâtiment, c'est
lui l'horloge autoritaire qui me rappelle à l'ordre. Après avoir parcouru les
pelouses , élancée , je bondis à travers les portes, poursuivie par le temps
impatient, glissant sur le carrelage fraîchement lavé, déchirant l'air des
couloirs. Quand une voix familière vint vibrer sur mes tympans.
***
'' Hey Crys! '' appelais -je affectueusement. La petite
demoiselle aux cheveux de bataille freina sa course en glissant et se cramponnant
aux casiers pour ne pas tomber. Je m'empressai de l'aider, de disperser sa gêne
face à sa maladresse chronique et de lui faire une bise prolongée en respirant
son parfum, impénétrable, indescriptible de jolie fille.
Elle faisait déjà bien deux têtes de moins que moi, mais
dégageait quelque chose de grand et d'unique.
Derrière ses mèches brunes, on discernait deux perles noisette, voilées
par une brume d'ennuis et de soucis latents.
'' Je suis désolée, je suis... encore en retard. ''
Me dit-elle en haletant.
Nous entrâmes dans le vacarme insensé de la classe.
Accoudés aux tables, ils piaillaient tous comme des centaines de moineaux. Dans
le fond de la classe quelques bavardes pouffaient comme des hyènes.
Je les dévisageais, hautaine, sûre de ma
supériorité, heureuse de ne pas avoir à dévoiler quelque trésor de spiritualité
pour les faire taire.
***
'' Tu devrais pas
être aussi méprisante'' dis-je d'une
voix enjouée à Arthem qui s’asseyait, l'ombre de l'agressivité sadique se
noyant dans ses yeux.
'' Je n'ai aucun respect pour la bêtise tu le
sais bien. ''
Je cautionnais les accès de mépris d’Arthem, d'une part
parce que j'étais plus ou moins d'accord avec elle, même si j'essayais de ne pas penser ainsi,
d'autre part parce qu’elle pouvait, étrangement, se le permettre. C'était
quelqu'un d'inaccessible, de violent dans ses mots et son attitude. Une
créature insolente que j'admirais souvent
par son répondant qui tranchait le fil de la parole.
'' Excusez moi! ''
L'attention se porta sur le vieux professeur, Mister Steward. Près de lui se
trouvait une adolescente aux allures fragiles de poupée de cire. Des cheveux
fins couleur corbeau, encadraient son visage délicat de pêche. L'éclat
rayonnant de sa voix me surprit par la
vie qui s'en dégageait. Elle se présentait spontanément sans timidité ni
hésitation. Mais ses yeux bleu pâle étaient étranges, son regard vide était
comme...
'' Je m'appelle
Djuhs j'ai dix huit ans, je viens d'un établissement spécialisé à cause de mon
handicap congénital. ''
...
court-circuité....
'' ... A vrai dire c'est un problème très léger
que mon séjour dans mon établissement précédent m'a aidé à régler, c'est pour
cela que j'ai la possibilité de venir cette année dans un lycée normal sans
trop de soucis, j'aurai juste besoin d'un peu de votre bonne volonté pour
m'aider à me faire au nouveau lieu car je suis... ''
...
Aveugle c'était ça le mot.
Elle parla ainsi pendant une bonne heure en passionnant
son auditoire, par son charme discret, sa simplicité et son humour, malgré le
fait que quelque chose clochait.
'' Dis tu... '' Je
m'arrêtai net en voyant qu'Arthem n'entendait rien, postée dans cette attitude
absorbée par la contemplation de quelque chose de nouveau qui titillait sa
curiosité de l'humain.
Le ronronnement des chuchotements, des paroles de Djuhs,
des discussions, cessa brutalement, couvert par un infernal bruit de
cloche. Des élèves bondirent comme si le
temps remontait leurs ressorts et entourèrent la nouvelle. Elle répondait aux
questions, glissait un mot provocateur à tel garçon, sans paraître ni intriguée, ni perturbée par
l'ampleur de ses mots. Je n'avais pas encore bougé qu’Arthem s'avançait à grand
pas en direction de l'animal curieux qu'était devenue Djuhs. Ils s'écartèrent
naturellement pour la laisser passer et elle vint se planter dans une posture
nonchalante devant la demoiselle.
'' Arthem,
déléguée de classe, si tu as besoin de quoi que se soit n'hésite pas, je vais
déjeuner avec Crys dans cinq, dix minutes. Si ça te fait plaisir accompagne
nous, on t'aidera à te repérer. ''
Bel esprit d'initiative Arthem, mais mon avis tu l’as
demandé? Je secouai brutalement ma froideur jalouse pour saluer le phénomène.
'' Enchantée '',
dis-je en lui tendant la main.
'' De même. ''
***
Je serrai la main tendue, réprimant un frisson en sentant
une légère décharge me parcourir. Je ne notais pas sa crispation, je savais
juste qu'elle discernait en moi des choses inédites. Crys était froide,
hérissée comme un être agressé par je ne sais quel intrus. Elle avait peur de
cette nouveauté qui pourrait lui arracher ce qui lui appartenait,
inconsciemment. Elle semblait clairvoyante, comme si à travers le prisme d’un
petit monde qu’elle s’était construit, qu’on appelle son quotidien, son
existence, elle avait acquis le matériau pour comprendre le macrocosme qu’est
cette immense toile sociale.
Et c’est pour ça qu’elle ne m’aimait pas, elle comprenait
que je jouais, même si elle ne savait pas quoi, pourquoi, et par manque de
confiance en elle ou peut-être juste par simple morale elle bloquait toute
sortes de jugement.
C’est ce que j’entendais dans la musique de son âme.
Quelque chose de dark, de
sourd, poignant comme une sonate. Une mélopée caressante et sensible comme du
jazz.
***
plus tard…***
April
était tranquillement assise sur le muret, portant son énorme peluche en forme
de chat, Kitty. C'était une peluche automate qui réagissant de façon assez
simple pour qu'un enfant puisse comprendre sa personnalité, assez complexe pour
qu'on continue à se poser des questions, sur les mystères de l'intelligence
artificielle.
Je serrai cette enfance frêle de huit ans, au sang
semblable à mon sang. Son pépiement d'oisillon affamé, voilé par une maturité
du langage précoce me questionnait avide.
***
'' On fait quoi ce soir, grande soeur? ''
Je la regardais, toujours
fière quand elle venait me chercher à l'école. Elle avait tout d'une grande
fille, presque une femme. Chaque fois que l'on se promenait dans la rue, je
voyais tous ces garçons la regarder, discrètement, avec dans les yeux cette
étincelle qui différencie tant le petit garçon de l'adolescent. Je ne le lui
disais pas, d'ailleurs peut-être qu'elle le savait déjà. Mais elle gardait cet
air modeste et sûr que j'aimais tant.
Ce soir, elle m'avait promis un milk-shake chez son
copain Evans qu'elle connaissait depuis longtemps. D'après elle je n'étais pas
née lorsqu'ils se sont rencontrés. D'ailleurs, je ne comprenais pas trop leur
relation, c'était assez compliqué. Ils semblaient très proches, ils sont même
sortis ensemble dans le passé.
Simplement depuis la rupture quand j'étais encore CP, c'est comme ci ils se mentaient. Grande sœur
a beaucoup pleuré mais n'a jamais rien montré à Evans, quant à lui, il a fait
comme ci il ne s'était rien passé. Ils s'adressaient de faux sourires comme
pour retenir des mots inutiles.
On longeait les rues pavées, les bâtiments bercés par les
lampes. A cette heure avancée, à l'étage inférieur de la ville ou se trouvaient
les commerces, une rumeur de voix, de rires, traversait les rues piétonnes
entre chiens et loups. On s'approchait de ma rue préférée main dans la main,
grande sœur d'un pas sûr, moi un peu en retrait, en silence, car je n'aimais
pas ces lieux pleins de personnes.
Puis elle me tapota l'épaule, me fit un sourire pour me
rassurer en montrant du doigt la confiserie. C'était le soir du ''plein de la
semaine''.
Une fois par semaine, on visitait cette petite boutique,
paradis des caries, dans laquelle une vieille dame entassait des sucreries dans
d'énormes bocaux. J'étais éblouie par tous ces morceaux de miroir qui
reflétaient les couleurs acidulées des milliers de bonbons entassés dans le
magasin.
***
'' Bonsoir madame Corrander. '' Elle testait de nouvelles
recettes, dos au comptoir, sur la kitchenette installée au fond de la pièce.
Elle sursauta légèrement, cessa de remuer le chocolat qui
fondait dans sa casserole et salua de ce timbre tranquille de grand mère
sereine. Elle m'adressait son habituelle bienveillance et me présenta sa
dernière création, des chocolats saupoudrés de sucre multicolore.
En tant que bonnes clientes, nous avions toujours le
droit à un petit supplément, parce qu'elle tenait beaucoup à notre opinion.
April était aussi difficile que moi gourmande et j'étais contente que l'on
puisse s'offrir un petit plaisir commun si facilement.
'' Tu reviens travailler aux prochaines vacances? ''
J'étais reconnaissante envers madame Corrander, car je savais qu'elle n'avait pas vraiment
besoin de personnel supplémentaire. Elle côtoyait une clientèle d'habitués
venant à heure fixe, patients et peu exigeants, ce qui faisait qu'elle n'était
jamais vraiment débordée. A vrai dire, elle m'embauchait surtout pour lui tenir
compagnie. Les quelques tâches simples qu'elle me donnait à faire n'étant qu'un
prétexte. C'était surtout une dame bien
seule depuis la mort de son mari, n'ayant pour seul compagnon, une fois chez
elle, que Candys, un bâtard fidèle qui manquait cruellement de conversation.
***
J’essuyais un verre avec insistance, à l’en briser, prisonnier
d’une avalanche de réflexions. Je
voulais que ma vie change, sortir d’un cercle artificiel de sexualité débridée
et inconsistante.
Je
couchais avec des fantômes.
Des créatures qui visaient l’unique plaisir,
le relâchement total de tous sens, de toute civilité. Elles cherchaient
l’animalité, fuyaient cette vie jour après jour plus réglée, plus dénuée de
folie. Elles retardaient l’arrivée du moment de se ‘’caser’’, peut-être par
peur, peut-être par immaturité, je ne savais pas et c’était ça le problème.
J’avais l’envie poignante de poser des questions à ces existences qui passaient
sur la mienne comme de la pluie sur un pare-brise, et d’étreindre ou
d’effleurer une personnalité, savoir si elle aimait le printemps, l’été, les
feuilles d’automne, le parfum des fleurs ou du cèdre brulé.
Je
me demandais si c’était ma faute, si ce n’était pas moi que les
complications effrayaient, la phobie des
larmes de femme, voilà ce qui pouvait m’habiter. Une phobie à la con qui
faisait de moi un lâche.